Le siège imposé à Gaza et les combats qui y ont été lancés au lendemain de l’attaque menée par le Hamas en Israël sont à l’origine d’une crise humanitaire majeure dans l’enclave palestinienne. Les chrétiens déterminés à rester dans le Nord privé de toute aide, n’y échappent pas. Mgr William Shomali revient sur leurs conditions de vie, en proie à la peur, à la panique et à la faim. En cette période de Carême, leur foi ne faiblit pas.
Entretien réalisé par Marie Duhamel – Cité du Vatican
«L’arrêt de la guerre est le moyen le plus sûr de faire entrer des camions de nourriture en plus grand nombre à Gaza, c’est donc cela le plus important». Combattre la faim est la priorité absolue pour le vicaire patriarcal latin pour Jérusalem et la Palestine, Mgr William Shomali. Actuellement, 2,2 millions de Palestiniens, soit l’immense majorité des Gazaouis, sont menacés d’une «famine de masse» dans l’enclave, selon les Nations unies. Ce dimanche, des centaines de civils restés au Nord ont décidé de rejoindre le centre et le sud de Gaza, poussés par la faim. Un père confiait à l’AFP être parti pour sa fille d’un an et demi, parce qu’elle ne digère pas les pains préparés à partir de fourrage. A Gaza-ville, la situation des chrétiens est à l’image des autres civils restés sur place, mauvaise. Les centaines de personnes réfugiées dans les paroisses latine et orthodoxe sont dans la survie. «J’ai entendu aujourd’hui qu’un homme de 30/40 ans est content s’il obtient un quart de pain par jour», rapporte Mgr Shomali. Mais malgré le manque «extraordinaire de nourriture», la peur de l’avenir et la perte de trente des leurs dans des combats mais également de mort naturelle, la communauté reste déterminée à mourir «dans leur maison, près de l’autel» pour reprendre les mots de sœur Nabila Saleh, religieuse de la Congrégation du Rosaire de Jérusalem qui se trouve à l’intérieur de l’église de la Sainte-Famille dans le quartier de Zeitoun.
Sur le plan sécuritaire, il est plus sûr de rester dans la paroisse, car au moins il y a une adresse de référence. L’Église prend de leurs nouvelles. Quand nous pouvons envoyer quelque chose accidentellement, nous le faisons.
Donc d’un point de vue sécurité il vaut mieux rester au Nord, à moins bien sûr de pouvoir quitter Gaza, via Rafah pour aller en Égypte. Certains y sont parvenus. Des gens ont obtenu, un mois ou deux après la guerre, un visa pour l’Australie et ils ont pu sortir. D’autres qui avaient aussi un passeport étranger, des Jordaniens, ont pu sortir. Mais les autres n’ont pas cette possibilité et ils ne veulent pas aller au Sud parce qu’au Sud, ils seront anonymes, ils n’auront pas d’adresse, ils ne seront pas suivis. C’est par ailleurs très dur de vivre seul au Sud. Il n’y a même pas assez de tentes pour héberger les gens. Il faut dormir dans la rue. Donc c’est plus sûr de rester à la paroisse.
Ensuite, ce que disait sœur Nabila est vrai et les gens insistent. Combien de fois les Israéliens ont donné l’ordre, à tout le monde sans exception, d’évacuer le Nord? Les nôtres ont dit: «Nous restons ici, nous préférons mourir ici». Et ils ne sont pas partis. De notre côté, nous essayons de les protéger autant que possible en faisant de la médiation, en faisant des recommandations à tous les politiciens qui nous visitent. Bon, il y a eu des pressions en ce sens et il y a quelques jours, alors que de nouveaux ordres d’évacuation avaient été donnés, nous avons fait notre enquête, et les militaires ont dit: «Pas encore, ils peuvent rester». C’était la première fois que nous entendions ce «ils peuvent rester».
Ils restent mais dans quel état d’esprit? Le Carême a commencé le 14 février dernier. Est-ce que vous avez pu les joindre depuis?
Le Carême a commencé le 14 février, jour du Mercredi des Cendres. Nous avons reçu des photos de la célébration qui s’est tenue à la paroisse latine. On voit que les gens ont un visage de Mercredi de Cendres, un visage crispé, triste, peu optimiste. Ça a changé depuis cinq mois. Ce ne sont plus les gens que nous avons connus il y a par exemple un an, et qui étaient alors plutôt optimistes, contents, souriants. Là, ils étaient vraiment dans la panique, la peur de ce qui va arriver. Ils sont passés par plusieurs situations et ils continuent d’avancer avec la peur, la panique, mais aussi la famine.
Vous parlez de famine. Quelles sont leurs conditions de vie aujourd’hui? Concrètement peuvent-ils se nourrir?
Au début de la guerre, les deux paroisses avaient récupéré beaucoup de vivres stockés dans les magasins encore ouverts. On leur avait fait parvenir beaucoup d’argent et ils pouvaient acheter dans ces dépôts situés au Nord. On a acheté beaucoup de riz, de sucre, de farine. On faisait la cuisine chaque jour. Maintenant, on la fait trois fois par semaine, parfois deux fois… ou, parfois, une seule fois par semaine. Et les gens doivent s’arranger. Parfois les gens se rendent dans leurs maisons si elles n’ont pas été détruites pour chercher un peu de riz, un peu de farine qui y restait. Alors, on «vivote». Mais chaque jour, la situation devient de plus en plus difficile car les dépôts de nourriture, les magasins, les petits magasins, les grands magasins, ça n’existe plus.
Au Nord, il y a de la famine au sens littéral. J’ai entendu aujourd’hui qu’un homme de 30 ans, 40 ans, est content s’il obtient un quart de pain par jour, ce qui ne suffit pas pour un petit déjeuner. Il doit remercier le Seigneur pour avoir eu un quart de pain. Il y a un manque de nourriture extraordinaire.
Est ce qu’il y a déjà des conséquences au fait qu’il mange si peu, un quignon de pain ou un tout petit peu de sardines chaque jour?
Cela ne suffit pas pour avoir de la force et de l’immunité contre les maladies. Dans la paroisse orthodoxe, il y a des gens qui sont malades d’hépatite. Ça pourrait venir de l’eau qui n’est pas propre, du manque de bonne nourriture, du manque d’hygiène. Ils n’ont pas assez d’eau pour se laver, ou même pour boire. Donc on peut prévoir beaucoup de maladies.
Quand on parle d’aide, on sait qu’elle arrive au compte-goutte par le point de passage de Rafah essentiellement. Est-ce que ces camions ou l’aide qu’ils transportent arrivent jusqu’au nord?
Au Sud, il y a ces camions qui passent parfois, et qui ne sont pas en nombre suffisant. On a besoin de plus de 500 camions par jour, mais ce qui entre, selon les statistiques, ce sont à peine 100 ou 200 camions pour 2 millions d’affamés. Vraiment, ça ne suffit pas. D’autant que ce n’est pas uniquement de la nourriture qui rentre dans la bande de Gaza. Il y a aussi des tentes, des médicaments, ou des choses inutiles. Beaucoup de choses viennent à manquer, surtout la nourriture.
Et ce qui parvient au Sud n’arrive pas au Nord pour plusieurs raisons. La route principale qui relie le Nord au Sud a été bombardée plusieurs fois, ce qui rend très dangereux et même impossible de faire venir les véhicules ou les camions au Nord. C’est d’ailleurs interdit de passer du Sud au Nord. Les Israéliens poussent les habitants du Nord à chercher refuge au Sud, mais pas à retourner sur leurs pas, parce qu’ils veulent occuper le nord de Gaza. Alors peu de choses peuvent arriver au Nord. On utilise les animaux parce que les routes ne sont pas praticables. Et tout ce qui passe, c’est du marché noir et ça coûte très cher, dix fois plus qu’avant. Je vous donne un exemple. Dans l’éventualité –hypothèse rare- où l’on trouve des œufs. Un carton d’œufs qui coûte en soi 25 shekels à Bethléem ou à Ramallah coûterait aujourd’hui 140 shekels au nord de Gaza… Quand donc ces espèces de choses peut arriver? La farine coûte dix fois plus cher aujourd’hui qu’avant.
Vous parliez d’une aide accidentelle de la part de l’Église pour les chrétiens de Gaza. Comment vous organisez-vous pour pouvoir leur faire parvenir de l’aide?
Nos prières n’ont pas fructifié en paix, ni en trêves, ni en cessez le feu, mais des actes de solidarité sont posés. Il faut dire la vérité, pas seulement de la part des chrétiens, mais aussi de la part de plusieurs pays: l’Égypte ou la Jordanie. La Jordanie a envoyé un avion militaire pour porter des tonnes de nourriture à nos chrétiens du nord de Gaza, le 24 décembre dernier. Il y a eu un parachutage de deux tonnes de nourriture et de médicaments fait par un hélicoptère jordanien. J’ai su aujourd’hui (la semaine passée, ndr) que le contenu était un don d’une famille américaine. Beaucoup de dons nous arrivent de la part d’Églises, de paroisses, de communautés ou d’individus qui sont peinés de voir les photos ou vidéo de Gaza à la télévision ou dans les médias. Il y a beaucoup de solidarité et nous sommes reconnaissants pour ça.
En un mot, quelle est la priorité selon vous aujourd’hui?
Aujourd’hui, la priorité, c’est l’arrêt de la guerre, un cessez-le-feu, une trêve, l’échange des otages et des détenus. Tout cela pour faire entrer beaucoup d’aide. En effet, le moyen le plus sûr de faire entrer des camions de nourriture en plus grand nombre, est l’arrêt de la guerre. C’est donc cela le plus important.
Les individus peuvent agir en faisant pression sur leurs gouvernements, afin qu’ils fassent à leur tour pression sur le gouvernement de Benyamin Netanyahou pour qu’il arrête la guerre. Vous savez, beaucoup, beaucoup d’Israéliens, plus que nous ne pouvons penser, veulent la fin de la guerre. Les soldats envoyés à Gaza ont des parents, des familles. Les parents des soldats ont peur pour leurs enfants. Ensuite, les colonies du Sud ne sont pas habitées aujourd’hui à cause de la guerre avec le Hamas, et il en va de même au Nord à cause de la guerre avec le Hezbollah. Même l’économie israélienne souffre. Plus de 100 milliards de shekels ont été dépensés pour cette guerre. Et même la bonne réputation d’Israël a souffert de ce conflit de par le monde. Donc l’arrêt de la guerre est une demande, pas seulement palestinienne ou européenne, mais c’est aussi une demande de la part de la moitié de la société israélienne.
Que celui qui peut avoir une influence l’exerce pour l’arrêt de cette guerre et le plus vite possible. C’est cela que nous voulons pour permettre l’entrée de l’aide humanitaire en plus grande quantité à Gaza. C’est notre demande.